Henri Devier, Melkior / La Gare Mondiale

𝗕𝗼𝗻𝗷𝗼𝘂𝗿 𝗛𝗲𝗻𝗿𝗶 𝗗𝗲𝘃𝗶𝗲𝗿. 𝗩𝗼𝘂𝘀 𝗲̂𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗶𝗿𝗲𝗰𝘁𝗲𝘂𝗿 𝗮𝗿𝘁𝗶𝘀𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗱𝘂 𝗠𝗲𝗹𝗸𝗶𝗼𝗿 / 𝗟𝗮 𝗚𝗮𝗿𝗲 𝗠𝗼𝗻𝗱𝗶𝗮𝗹𝗲, 𝗲𝘀𝘁-𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗽𝗼𝘂𝘃𝗲𝘇 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗲𝗿 𝘂𝗻 𝗽𝗲𝘁𝗶𝘁 𝗽𝗲𝘂 𝗱𝗲 𝘃𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗿𝗼̂𝗹𝗲 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗹𝗮 𝘀𝘁𝗿𝘂𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 𝗲𝘁 𝗾𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗰𝗲𝘀 𝗮𝗰𝘁𝗶𝘃𝗶𝘁𝗲́𝘀 ?
Alors oui, je suis directeur artistique. Ça veut dire que j’ai une voix prépondérante sur les choix artistiques de la structure, comme par exemple le choix des compagnies qui viennent travailler au sein de la Gare mondiale qui est un lieu de fabrication artistique, c’est-à-dire un lieu de résidence où les personnes viennent créer leur spectacle, que ce soit du cirque, du nouveau cirque, de la chorégraphie, du théâtre contemporain, etc. On accueille ainsi une dizaine de compagnies tous les ans. J’ai aussi un rôle dans l’élaboration du programme de TrafiK, le festival que nous faisons maintenant annuellement, au mois de novembre.
Ça et tout le reste se fait quand même en collaboration étroite avec Marine Chaugier, qui s’occupe plus particulièrement de la question des publics, mais dont le rôle va au-delà. Donc on co-organise tout ça et une fois que les choix sont faits, je passe la main. L’organisation, ce n’est pas moi qui m’en occupe. Enfin, j’ai aussi une action sur les quartiers autour de la question du récit. Parce que nous essayons d’inventer un autre rapport en réfléchissant à comment faire se rencontrer l’artistique et le social dans les quartiers prioritaires. On mène une expérience depuis 2002, mais là nous commençons juste à comprendre comment cela peut marcher. Il faut du temps.
Mais, à côté de ça, j’ai aussi un projet artistique personnel qui s’appelle Wilden Monument et qui tourne autour d’une petite cabane vide, cabane qui est là pour construire des récits. On est quand même là, sur notre ligne de force, qui est de voir comment on constitue de nouveaux récits, comment on raconte de nouvelles histoires.
𝗘𝘁 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗿𝗲𝘃𝗲𝗻𝗶𝗿 𝘂𝗻 𝗽𝗲𝘁𝗶𝘁 𝗽𝗲𝘂 𝗮̀ 𝗧𝗿𝗮𝗳𝗶𝗸. 𝗟𝗲 𝗳𝗲𝘀𝘁𝗶𝘃𝗮𝗹 𝗮 𝗳𝗼𝗿𝗰𝗲́𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗲́𝘁𝗲́ 𝘁𝗿𝗲̀𝘀 𝗶𝗺𝗽𝗮𝗰𝘁𝗲́ 𝗽𝗮𝗿 𝗹𝗮 𝗰𝗿𝗶𝘀𝗲 𝘀𝗮𝗻𝗶𝘁𝗮𝗶𝗿𝗲. 𝗘𝘀𝘁-𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝘁𝘂 𝗽𝗲𝘂𝘅 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗲𝗻 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗲𝗿 𝘂𝗻 𝗽𝗲𝘁𝗶𝘁 𝗽𝗲𝘂 ?
Ça c’est un peu le truc le plus intéressant. Comment on essaie, nous, structure, de se positionner par rapport à des événements comme ça, inattendus, comme une pandémie qui déboule.Ce dont on se rend compte quand même, c’est que cette pandémie, outre la question du risque sanitaire, enlève la possibilité de décision à l’ensemble des acteurs sociaux, économiques, citoyens. C’est une reprise en main étatique. Après on peut en penser du bien ou en penser du mal, mais en tous les cas, c’est une reprise en main, avec un rôle prépondérant, à la fois de l’état, des préfets et des élus locaux.
Et donc lorsque la pandémie arrive avec l’interdiction de faire, d’occuper les salles de spectacle, etc., on s’assoit et on se demande : “Mais où est la faille ? » Et pas parce qu’on est contre, mais juste pour essayer de questionner la logique, étatique par exemple. Là, ils laissent les lycées ouverts, les écoles primaires et les collèges aussi et donc on se dit : « Bon sang, mais c’est bien sûr, elle est là la faille ! «
Et donc, nous contactons assez rapidement l’ensemble du réseau des professeurs, avec qui nous avons maintenant l’habitude de travailler, c’est un travail de longue haleine, et nous testons auprès d’eux cette idée « Et si on venait faire le festival Trafik au sein de votre établissement, qu’est-ce que vous en diriez ? »
Il y a un enthousiasme qui s’exprime et aussi, il y a quelque chose d’assez extraordinaire : c’est qu’eux, prennent en charge la négociation à l’intérieur des établissements, avec le proviseur, le directeur, etc. Et donc ça, ça nous facilite le travail, on a plus qu’à essayer de voir comment réadapter les spectacles puisqu’on quitte les boîtes noires des lieux de représentation pour entrer dans des lieux qui ne sont pas faits pour, des gymnases, des dojos, des salles de cantine, des foyers municipaux. Et du coup on a une problématique qui devient « comment réadapter techniquement la chose ».
Dans un premier temps on s’est tourné vers le Centre Culturel pour voir si l’on pourrait, puisqu’ils sont fermés, bénéficier de l’équipe technique. La réponse des élus est négative. Donc, là aussi c’est une décision. À partir de là on se retourne vers un autre organisme qui est l’Agence Culturelle de Dordogne Périgord à qui on explique ce que l’on a envie de faire. Nous sommes d’accord sur le fond et eux nous délivrent à la fois du matériel et une équipe technique qui vient nous soutenir. Voilà.
𝗢𝗻 𝘃𝗼𝗶𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗳𝗮𝗰𝗲 𝗮̀ 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗶𝗻𝗷𝗼𝗻𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗮̀ 𝘀’𝗮𝗱𝗮𝗽𝘁𝗲𝗿, 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝘁𝗿𝗼𝘂𝘃𝗲𝘇 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗹𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗿𝗲́𝗶𝗻𝘃𝗲𝗻𝘁𝗲𝗿. 𝗜𝗹 𝘆 𝗮 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗹𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗽𝗿𝗼𝗽𝗼𝘀𝗲́𝗲𝘀 𝗽𝗮𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗶𝗻𝘀𝘁𝗶𝘁𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀, 𝗾𝘂𝗶 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗽𝗲𝘂𝘁-𝗲̂𝘁𝗿𝗲 𝗱𝗶𝘀𝗰𝘂𝘁𝗮𝗯𝗹𝗲𝘀, 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲 𝗹𝗮 𝗽𝗿𝗼𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗱𝗶𝗳𝗳𝘂𝘀𝗲𝗿 𝗹𝗲 𝘀𝗽𝗲𝗰𝘁𝗮𝗰𝗹𝗲 𝘃𝗶𝘃𝗮𝗻𝘁 𝘀𝗼𝘂𝘀 𝗳𝗼𝗿𝗺𝗲 𝗱𝗲 𝗰𝗮𝗽𝘁𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝘃𝗶𝗱𝗲́𝗼, 𝗲𝗻 𝘀𝘁𝗿𝗲𝗮𝗺𝗶𝗻𝗴. 𝗦𝘂𝗿 𝗰𝗲 𝗽𝗼𝗶𝗻𝘁 𝗽𝗿𝗲́𝗰𝗶𝘀, 𝗼𝗻 𝗮 𝗾𝘂𝗲𝗹𝗾𝘂𝗲𝘀 𝘃𝗼𝗶𝘅 𝗾𝘂𝗶 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝗰𝗲𝗻𝘁 𝗮̀ 𝘀𝗲 𝗳𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗲𝗻𝘁𝗲𝗻𝗱𝗿𝗲. 𝗦𝘂𝗿 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗲𝘀𝘁-𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝘁𝘂 𝘁𝗲 𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗲𝘀 𝗽𝗲𝗿𝘀𝗼𝗻𝗻𝗲𝗹𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 ?
Deux choses : si on me le proposait, j’essaierais d’aller questionner le médium. C’est-à-dire « C’est quoi cette histoire de zoom ? C’est quoi cette histoire de streaming ? » La réponse que je peux donner, clairement, c’est que nous ne ferions pas une captation, ça, c’est sûr. Parce que c’est déjà mettre le pied dans un endroit extrêmement dangereux d’enlever au spectacle vivant sa dernière force, vu que les formes ont été réinventées et que même l’audiovisuel s’en est saisi… la seule force qui reste pour le spectacle vivant, comme pour les concerts c’est ce contact direct avec le public.
Ça, je sais que c’est essentiel, et que si on commence à entrer dans cette illusion qui consiste à dire que les plateformes suffisent, et bien on se trompe. Il faut être un gros praticien de concerts comme je le suis, pas parce que j’en fais beaucoup, mais parce que c’est vital pour moi. Si je ne danse pas, si je ne me défoule pas, si je ne me défonce pas, il me manque quelque chose d’hyper important dans ma vie. Et donc là, avec le streaming je ne peux pas me défoncer devant la télé c’est sûr ! J’ai essayé, il faut boire beaucoup et même avec de l’alcool ça ne marche pas …
Après, qu’on essaie de se dire, sur ces périodes-là, où il y a une tension très forte où l’on ne peut pas faire des concerts : « qu’est-ce qu’on peut inventer ? » Comme si on soufflait sur le feu pour ne pas qu’il s’éteigne, il y a sûrement plein de solutions … Moi on ne me l’a pas proposé, donc je ne l’ai pas fait, mais sûrement qu’en y réfléchissant un peu on doit pouvoir inventer des dispositifs. Dans tous les cas la réponse est claire : » Non, pas de streaming comme simple reproduction d’une création faite pour être donnée en public »
𝗝𝗲 𝗿𝗲𝘃𝗶𝗲𝗻𝘀 𝘀𝘂𝗿 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝘂 𝗹𝗶𝗲𝗻 𝗱𝗶𝗿𝗲𝗰𝘁 𝗮𝘂𝘅 𝗽𝗲𝗿𝘀𝗼𝗻𝗻𝗲𝘀. 𝗖𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗲𝘀𝘁-𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗲, 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗲́𝗿𝗶𝗼𝗱𝗲 𝗼𝘂̀ 𝗹𝗲𝘀 𝗹𝗶𝗲𝘂𝘅 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗳𝗲𝗿𝗺𝗲́𝘀 𝗼𝘂 𝗹𝗲𝘀 𝗳𝗲𝘀𝘁𝗶𝘃𝗮𝗹𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗮𝗻𝗻𝘂𝗹𝗲́𝘀, 𝗲𝘀𝘁-𝗰𝗲 𝗾𝘂’𝗶𝗹 𝗻’𝘆 𝗮 𝗽𝗮𝘀 𝘂𝗻 𝗿𝗶𝘀𝗾𝘂𝗲 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝗱𝗲 𝘃𝗼𝗶𝗿 𝘀𝗲 𝗱𝗶𝘀𝘁𝗲𝗻𝗱𝗿𝗲 𝘂𝗻 𝗽𝗲𝘂 𝗹𝗮 𝗿𝗲𝗹𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗾𝘂𝗶 𝗽𝗲𝘂𝘁 𝘀’𝗲𝗻𝘁𝗿𝗲𝘁𝗲𝗻𝗶𝗿 𝗲𝗻𝘁𝗿𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗽𝗿𝗼𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗽𝗲𝗿𝘀𝗼𝗻𝗻𝗲𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝗹𝗮 𝗳𝗿𝗲́𝗾𝘂𝗲𝗻𝘁𝗲𝗻𝘁 ?
Alors déjà, et je ne parle que de mon expérience, il y a quelque chose qui est quand même indépassable : c’est que nous ne pouvons plus être en contact. On ne peut pas ouvrir nos lieux. Ils sont sous scellés. Mais comment fait-on ? Nous qui sommes quand même dans ce qui se définit comme opérateur culturel, qu’est-ce qu’on peut faire dans cette période ? Quel espace de liberté peut-on reconquérir pour essayer de repenser justement nos rapports avec le public, les spectateurs ? Comment engage-t-on des choses différentes ? Parce qu’on voit que la pandémie est un signal. C’est un phénomène qui va se reproduire d’une manière ou d’une autre. On sait qu’on va rentrer dans des périodes un peu houleuses.
Et donc, nous avons pris l’initiative de réfléchir avec trois autres lieux : le festival de Villeréal, La Maison Forte (à Monbalen à côté d’Agen) et le Melkior Théâtre, et avec une compagnie artistique qui s’appelle la Propagande Asiatique avec qui on travaille beaucoup en ce moment, sur l’idée de réinventer quelque chose qui ne serait pas un spectacle, qui ne serait pas une dé-création comme on a pu le faire, mais autre chose. On est en train d’inventer une marche zapatiste. Et l’idée est de voir comment cette marche zapatiste repense toutes les notions de spectateurs et comment elle travaille à la déréalisation du spectateur pour entrer dans une autre relation, de village en village avec les gens. Est-ce qu’on rentre chez eux ? Mais si tu rentres chez quelqu’un est-ce qu’il est spectateur ? Non, il est hospitalier, invitant. Et ce sont toutes ces questions-là qu’il faut qu’on arrive à creuser.
Il y a quelqu’un qui s’appelle Jochen Gerz un plasticien qui je crois à Biron, a refait un monument aux morts pour le transformer en monument aux vivants. Je dis ça parce que dans une interview il dit « En démocratie le mot spectateur est un vrai scandale ». Ça, c’est une phrase qui m’intéresse vraiment. Dire aussi comment on retrouve une autre relation au sein de l’expérience artistique qui ne soit pas une dichotomie entre « je suis créateur et toi tu regardes ce que j’ai créé ». Comment on co-construit quelque chose ensemble, en respectant nos statuts différents, en les questionnant, en les travaillant. Donc, en février on fait une marche zapatiste de 100 km. On va s’arrêter dans les villages, sans rien préparer en avance, sans rien proposer, en y travaillant, en essayant de rentrer chez les gens, en essayant d’inventer des dispositifs.
𝗟𝗮 𝗰𝘂𝗹𝘁𝘂𝗿𝗲, 𝘀𝗼𝗻 𝗰𝗮𝗿𝗮𝗰𝘁𝗲̀𝗿𝗲 “𝗲𝘀𝘀𝗲𝗻𝘁𝗶𝗲𝗹 𝗼𝘂 𝗻𝗼𝗻”, 𝗮 𝗱’𝗮𝗶𝗹𝗹𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗯𝗲𝗮𝘂𝗰𝗼𝘂𝗽 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗿𝗼𝗴𝗲́. 𝗤𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝘀𝗲𝗿𝗮𝗶𝘁 𝘁𝗮 𝗿𝗲́𝗽𝗼𝗻𝘀𝗲 𝗮̀ 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝗽𝗹𝗮𝗰𝗲 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗰𝘂𝗹𝘁𝘂𝗿𝗲 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗹𝗮 𝘃𝗶𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗶𝗻𝗱𝗶𝘃𝗶𝗱𝘂𝘀 ?
Moi je pense que c’est une formule. C’est à dire que ce qui est intéressant c’est à quel point on a au début de la pandémie, insisté sur le fait que la culture est une chose indispensable et que là finalement, on se rend compte que tout le monde s’en passe bien, que l’activité des centres culturels s’arrête sans que cela ne pose problème …
Pour moi ça pose plutôt la question de la crise de la culture. Parce que ce que révèle la pandémie, c’est qu’il y a une véritable crise de la culture aujourd’hui. Il y a beaucoup de gens qui de toute façon ont déjà zappé de leur dialogue, de leur tête, de leur réflexion et de leur nombril, de leurs désirs et de leur érotisme, la question de la culture. Donc déjà il y a un tabou qui est levé. Avant il y avait la gauche, qui avait encore un peu d’intérêt pour cette question-là. Aujourd’hui il n’y a plus personne au niveau politique qui s’y intéresse, sauf pour faire de grandes déclarations de principe que personne ne respecte.
Je le dis parce que c’est vrai. Et donc, nous on doit réinterroger cette crise de la culture. Parce que pour moi, cette pandémie est intéressante parce qu’elle est révélatrice de quelque chose que je sens, dont la prise de conscience date de 2014, que quelque chose ne va plus, que les choses se sont nécrosées. Que l’on a plein de structures qui se sont développées et qui ne travaillent qu’à leur propre conservation, et que ça c’est un problème, et nous pouvons en faire partie. C’est pour ça que je le mets en question tout de suite : pourquoi La Gare mondiale ? Alimentation Générale ? Quelle est cette structure ? Qu’est-ce qu’il en reste ? Quand est-ce qu’elle est née ? Où elle en est aujourd’hui ? Comment doit-elle évoluer ? C’est hyper important parce que la crise est réelle.
On pousse d’ailleurs cette réflexion à plusieurs avec l’Odyssée (Nathalie Elain), un clown (Cédric Paga), un auteur /acteur /metteur en scène (Julien Villa), un tiers lieu (le Cafélib de Bourrou) et aussi mon projet de cabane… Tout ça cherche une nouvelle définition de ce qu’est l’art et voir à travers la notion de conflit, de positions asymétriques comment créer du commun.
Je suis en train de lire un truc, John Dewey qui est un penseur pragmatique, philosophe américain, qui a écrit un livre qui s’appelle L’expérience artistique, et dans lequel il dit quelque chose d’extrêmement intéressant. Il dit qu’on fait croire que la culture par exemple, c’est d’arriver au moment où le tableau est exposé. Or l’expérience artistique est en amont de ça. Et il y a quelque chose d’autre à inventer dans le processus qui amène au tableau. Le tableau, parce qu’il a une valeur marchande, c’est lui qui est valorisé dans le système du grand processus artistique. Et c’est pareil pour beaucoup de choses. On valorise le résultat final parce qu’on est capable d’en faire un produit. Ce qui est mis en cause aujourd’hui dans cette crise fondamentale est crucial : est-ce que la culture, ou l’art est là pour fabriquer des produits ? Où est-ce qu’il est là pour autre chose ?
𝗝’𝗮𝘃𝗮𝗶𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗱𝗲𝗿𝗻𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗾𝘂𝗶 𝗲𝘀𝘁 : 𝗘𝘁 𝗺𝗮𝗶𝗻𝘁𝗲𝗻𝗮𝗻𝘁 ? 𝗤𝘂’𝗲𝘀𝘁-𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗶 𝘃𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗮𝗽𝗿𝗲̀𝘀 ?
C’est important. C’est une bonne question. Parce qu’à force de dire “après” on sait déjà, si on le positionne comme ça, que ça va être comme avant. On voit déjà comment ça se réorganise. Je fais beaucoup de visioconférences avec d’autres opérateurs culturels et c’est à mourir de rire.
Tout ce qui se projette là, c’est « comme d’habitude ». Il n’y a rien de nouveau ! Ni à l’ouest, ni à l’est, ni au nord, ni au sud. Moi je le dis « on est dedans, ça y est, c’est fait » c’est comme toute la question de l’écologie, de savoir si on va être capable. Mais non les gars, on est dedans. On est déjà dans cette période où les pandémies vont se développer, où l’eau va manquer. Elle manque déjà, pas chez nous, mais ailleurs.
La question est de savoir comment on se réapproprie cette chose qu’on a laissée entre les mains des autres, comment on calcule notre rapport au monde et au vivant. Et toutes ces questions, elles sont interconnectées. C’est pour ça que j’ai du mal aujourd’hui à séparer la question artistique et culturelle de la question plus générale de notre position au monde. Comment on occupe ce territoire ? C’est quoi les citoyens d’une mairie ? D’une communauté d’agglomération ? Quelle marge de manœuvre avons-nous ? Quel est notre degré de liberté ? Quel est notre niveau de soumission ? Quel traité de servitude volontaire est-on en train d’écrire ? C’est ça le truc pour moi, voilà.
𝑪𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒑𝒓𝒐𝒍𝒐𝒏𝒈𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒂̀ 𝒄𝒆𝒕 𝒆𝒏𝒕𝒓𝒆𝒕𝒊𝒆𝒏, 𝑯𝒆𝒏𝒓i 𝑫𝒆𝒗𝒊𝒆𝒓 𝒂̀ 𝒕𝒆𝒏𝒖 𝒂̀ 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒍𝒊𝒗𝒓𝒆𝒓 𝒖𝒏 𝒑𝒆𝒕𝒊𝒕 𝒕𝒆𝒙𝒕𝒆 𝒆́𝒄𝒓𝒊𝒕 𝒑𝒂𝒓 𝑾𝒊𝒍𝒅𝒆𝒏, 𝒔𝒐𝒏 𝒂𝒗𝒂𝒕𝒂𝒓, 𝒂̀ 𝒍’𝒂𝒏𝒏𝒐𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒖 𝒅𝒆𝒖𝒙𝒊𝒆̀𝒎𝒆 𝒄𝒐𝒏𝒇𝒊𝒏𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕. 𝑪’𝒆𝒔𝒕 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒑𝒍𝒂𝒊𝒔𝒊𝒓 𝒒𝒖𝒆 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒍𝒆 𝒑𝒖𝒃𝒍𝒊𝒐𝒏𝒔 𝒊𝒄𝒊, 𝒂̀ 𝒍𝒂 𝒔𝒖𝒊𝒕𝒆 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒕𝒕𝒆 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒓𝒗𝒊𝒆𝒘
Nous nous déferons de la tyrannie du présent
Et passerons à travers les gouttes de pluie
Qui depuis longtemps ont fait déborder le vase
Cette situation, la nôtre, nous est imposée de l’extérieur.
Covid 19, mesures gouvernementales, couvre-feu
Et autres paniques pandémiques…
Nous ouvrons, nous fermons, nous hibernons, nous repartons
Au gré des impulsions que nous recevons.
Le signal n’est que la forme élaborée d’un stimulus pavlovien
Auquel nous répondons à la vitesse-réflexe de l’éclair.
La servitude n’y est plus volontaire mais planétaire
Nous comblons le vide des espaces qui nous sont octroyés/retirés.
Nous ne parlons qu’à travers des sujets imposés, piégés, étriqués.
Sans horizon nous prenons le risque
D’une mise en quarantaine à perpétuité.
Alors que faire ?
Habiter le trouble, bifurquer, élaborer une stratégie inédite
Et nous mettre en marche
Sans même en mesurer les conséquences
C’est-à-dire joyeusement, abruptement.
C’est ainsi que le récit élabore sa forme,
Celle d’un manifeste incomplet
Qui cherche son mode d’écriture, sa temporalité
Et cette communauté qu’il souhaite constituer.
Il est une invitation à se ressaisir
De ce qui fait encore chez nous
Humanimalité.
De son Empty Shack et sous un ciel électrique
Wilden écrit ces quelques lignes
A l’adresse encore incertaine.